Le domaine de Culan est un grand domaine. Plusieurs dizaines de familles y vivent nuit et jour. Dominant le village, le château est habité par une famille dont on parle beaucoup, en bas. On dit que le Seigneur est mort à Paris, qu'il était volage et regrettait que certains droits seigneuriaux n'aient plus cours. On dit que la Vicomtesse est caractérielle, absente, et peu soucieuse du petit-peuple. On dit aussi qu'ils ont trois enfants dont un seul mâle. De cet enfant, on dit qu'il est jeune et déjà bien dur. Les vieux du village parlent beaucoup de l'enfant. Certains disent qu'il ressemble à son père, d'autres qu'il est déjà bien plus méchant. Quand le Valatar est mort, il s'est trouvé du monde pour le pleurer, surtout parmi les femmes, car les maris étaient plus d'humeur à célébrer. Mais chacun, tout de suite, s'est demandé quel maître serait cet enfant blond.
Eloigné du village, dans les hauteurs du jardin du château, Gabriel passe le temps. Il marche doucement, tournant autour d'un vieil arbre penché. Un jour, Matheline lui avait raconté que l'arbre était aussi incliné depuis une tempête qui avait eu lieu bien avant que son père ne devienne vicomte. L'enfant aime beaucoup cet arbre, et chaque fois qu'il est de passage à Culan, il y grimpe. C'est si simple! C'est comme si ce tronc incliné faisait une pente douce, voire un escalier, pour l'aider à monter. Dans l'esprit de Gabriel, cet arbre a eu une enfance difficile, agitée par cette tempête, et par le regards des autres. Il faut dire qu'il se démarque, dans ce jardin, au milieu des grands feuillus qui entourent le château. C'est pour ça que Gabriel l'aime tant. Il se sent proche de lui, il sent un contact et une compréhension entre eux. S'il n'avait pas peur d'être surpris, il lui parlerait, mais comme il sait que cela ferait jaser tout le personnel, puis toute la ville du bas, il se contente de lui parler dans sa tête, en se disant que l'arbre peut lire dans ses pensées.
Une fois de plus, le garçon lève la tête vers les branches tordues de son "ami". Quelle noblesse malgré la souffrance évidente!
Quand je serai assez grand pour vraiment diriger les lieux, je te ferai redresser, tu sais? pense-t-il.Ainsi, nous nous redresserons ensemble.
Puis, comme à son habitude, il grimpe sur le tronc en espérant que personne ne le verra, et que, si quelqu'un vient le chercher, on ne saura pas où le trouver.