Préparatifs de voyage...

[Dimanche - Petit matin]

La jeune Vicomtesse farfouillait dans son petit coffre de bois de hêtre, à la recherche de quelques bijoux qu’elle pourrait emporter pour son voyage. Il ne s’agissait pas de se priver d’atours, et ce n’était certainement pas les conseils peureux de sa couarde de camérière concernant des pseudo-brigands qui allaient empêcher Maryan de porter ces ravissants pendentifs, ou encore ces fameux bracelets d’orfèvrerie.

Un sourire empreint d’une certaine tristesse étira soudain les lèvres de la jeune femme, lorsque ses doigts fins s’emparèrent d’un lourd collier pourvu de magnifiques pierreries.
Sa mère le lui avait confié, voilà des années de cela, lorsqu’elle avait abandonné sa fille aux bons soins de sa marraine, Jazzette.

Souvenirs d’une époque révolue…
Elle caressa du bout des doigts les pierres lisses du bijou, pensive.
En fin de compte, sa mère n’avait jamais élevé aucune de ses filles. Chaque fois, leur éducation avait été confiée à une autre.

Les yeux pers de la Vicomtesse se tournèrent vers le berceau de bois, dans un coin de la chambrée.
Sa mère avait-elle ressentie cette même peur, viscérale, démesurée, que Maryan avait elle-même éprouvée ?
Mariage, naissance… Le temps passait si vite !
Dix-neuf ans déjà, qu’elle venait à peine de fêter, sans grande cérémonie d’ailleurs.

Elle n’aimait pas ces fêtes-là, celles qui nous alourdissent d’une année de plus et nous font regarder en arrière, comme pour faire le bilan de ce qui a été accompli.
Un printemps, deux printemps, vingt printemps… Et l’on se retrouvait bientôt avec une odeur de sapin et de terre retournée dans les naseaux, entouré de ténèbres.

Maryan s’approcha du berceau, lentement, ses pieds nus glissant sur le tapis moelleux de la chambrée.
Le petit Gabriel dormait paisiblement, emmitouflé dans ses couvertures joliment brodées aux armoiries de sa famille.
Demain, la Dame de Baugy viendrait le prendre, et l’emmènerait en son domaine, afin qu’elle puisse veiller sur lui à son aise, pendant que le Vicomte et son épouse seraient en voyage.

Doucement, la jeune femme avança une main vers le petit corps allongé, et frôla la joue ronde et rose de l’enfant, les lèvres tremblantes, son regard azuré fixé sur ce minuscule être qu’elle avait tant de mal à appeler « mon fils ».

Le nourrisson resta parfaitement immobile, et la jeune Maryan se mit à murmurer, presque sans y prendre garde, comme pour s’adresser à lui.

« Toi tu es tout petit… Si petit… Tu démarres ta vie, calmement. »

Sa main quitta la joue pour effleurer la petite menotte du bambin.

« Et moi je me demande où en est la mienne… »

Mince étirement des lèvres.
Elle n’aurait pas su elle-même expliquer ces mots, mais ils étaient sortis tout seuls, tandis que leur énonciatrice contemplait son enfant, absorbée.

Soudain, les doigts potelés du nourrisson se refermèrent sur ceux de la Vicomtesse.
Maryan frissonna de tout son être, comme grisée par ce simple contact, et retira vivement sa main, en veillant cependant à ne pas éveiller l’enfançon.

Elle cligna plusieurs fois les yeux, comme étourdie, puis retourna bien vite à ses affaires.
Il fallait hâter les choses. Le départ pour l’Anjou était fixé à demain.

Les malles étaient fin prêtes, et les habits du lendemain étaient d’ores et déjà disposés dans un coin de la chambrée.
Occupé à ses affaires en ville, comme toujours, son époux lui avait envoyé une courte missive, dans laquelle il avait mentionné, entre autre, la présence future d’une gueuse et de son mouflet à leur voyage diplomatique.

Norf de norf !
La Vicomtesse en avait été fort surprise.
Non pas que les actes de bonté fussent inhabituels chez son époux, mais la jeune Maryan se demandait si la femme de rien accompagnée de son marmot ne serait pas encombrante plus qu’autre chose dans le cadre de leur mission.

Quoi de plus déconcertant, en effet, que de voir arriver un Chambellan et son épouse, suivie de près par un laideron en guenille et son bambin fripé, empestant la morue et l’étable ??

La jeune femme haussa les épaules, et entreprit de rédiger une prompte réponse, dans laquelle elle mandait plus d’informations sur la paysanne, ainsi que sur quelques autres détails du voyage.

Ceci fait, elle parcourût rapidement le chemin qui la séparait des écuries, se saisit de sa jument, et lança cette dernière au grand galop en direction de sa ville d’adoption, St-Aignan, après avoir confié sa missive à un valet.

Elle avait grande envie de tremper une fois encore ses lèvres dans la célèbre bug saint-aignanaise, avant d’en être séparée pour bien des jours.
Apercevant en chemin la mairesse du village, la jeune Vicomtesse s’empressa de la saluer chaleureusement, et bientôt, on les vit toutes les deux pénétrer dans une charmante taverne où un feu de cheminée crépitait déjà.

Maryan passa un fort agréable moment, en charmante compagnie qui plus est.
Rares étaient les occasions qu’elle avait de rire ainsi, et la jeune femme ne s’en priva aucunement.

Enfin elle rentra, se fit servir le dîner dans le petit salon –son époux étant encore absent-, et entreprit de finir le roman commencé quelques jours auparavant, en attendant que son aimé ne revienne.

C’est à une heure fort tardive qu’il se décida enfin à rentrer, et Maryan eût à peine le loisir de s’entretenir un moment avec lui, désirant lui mentionner les charmantes rencontres faites l’après-midi-même, que déjà le Vicomte manifesta son désir de rejoindre sa couche.

La jeune femme se leva, l’air quelque peu désappointé, et souhaita la bonne nuit à son aimé.
Il était vrai qu’il avait l’air épuisé, et Maryan s’était demandé d’ailleurs si l’alcool ne se s’était pas mêler à sa fatigue. Il avait en outre prononcé certaines paroles désobligeantes incitant au soupçon.

L’âme en peine, et tandis que son époux regagnait ses appartements, la jeune Vicomtesse orienta ses pas vers les jardins du domaine, et s’y promena longtemps.
Elle avait ôté ses poulaines, et marchait avec délice, pieds nus, sur l’herbe tendre de la closerie.
Les étoiles inondaient les cieux, et Maryan les regardait avec envie.

Bientôt cependant, le froid mordant de la nuit se fit sentir, et obligea la Vicomtesse à se refugier à l’intérieur.
Elle eût tôt fait de se vêtir pour la nuit, et de se glisser dans les draps blancs de sa couche, mais mit pourtant une éternité avant de fermer les yeux, et d’enfin plonger dans un sommeil réparateur.